Guillaume Martin, cycliste philosophe
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Publié le 3 décembre 2022
Si l’on en croit ses nombreuses interventions, radiophoniques mais aussi télévisées, Guillaume Martin cultive une approche nietzschéenne de l’effort. Vous n’avez pas compris ? Nous non plus. Il n’empêche que le natif de l’Orne, visage émacié et tignasse épaisse, a ce don singulier de captiver son auditoire. Au micro de Charline Vanhoenacker, ou sur le plateau de Yann Barthès, Guillaume fait marcher la tête autant qu’il fait tourner les jambes. À l’instar d’un Thierry Dusautoir (rugbyman ingénieur), d’un N’Golo Kanté (footballeur comptable) ou encore d’un Yohann Diniz (marcheur œnologue), Guillaume Martin s’amuse à brouiller les pistes, et, il faut le dire, chez The Cyclist House, on est assez fan.
Guillaume Martin au Tour de France - Photo: La Voix du Nord
« On ne fait pas de la philosophie comme on fait des pâtes à la carbonara. »
Nul doute, Guillaume Martin a le sens de la formule – qui a dit que la pratique de la philosophie était incompatible avec celle de l’humour ? Né en 1993 en Normandie, Guillaume le Conquérant effectue ses études secondaires en section sport-étude ; bac L en poche (2010), il enchaîne sur un master en philosophie à l’université Paris-Nanterre. Côté vélo, il roule en amateurs à partir de 2006, avant d’être repéré en 2012 par Sojasun qui lui propose un contrat stagiaire dans l’équipe professionnelle en 2013. Ses débuts comme coureur pro remontent à 2016. Aujourd’hui, et depuis 2020, Guillaume Martin est le leader de l’équipe Cofidis.
« Le désir (de porter le maillot jaune) est l’essence même de l’homme. »
Plus qu’un spinozien, le grimpeur Martin abrite un nietzschéen – ce qui ne fait pas de lui un surhomme pour autant ! Dès son plus jeune âge, Guillaume trouve dans la pensée de Friedrich des considérations concrètes, en adéquation avec le mode de vie exigeant (ascétique ?) qu’impose la pratique du cyclisme. À propos de son sport, Martin parle volontiers de « lueur de plaisir dans un océan de souffrance », d’« état de grâce » et de « béatitude », autant de notions qui ne sont pas sans rappeler l’extase du coureur de fond chère à Murakami.
Modèle de polyvalence et d’« incasabilité », partisan d’une exploration joyeuse du corps et de l’esprit à son goût trop longtemps dissociés (en particulier par le courant cartésien), bref, d’un dépassement de soi dans la joie et dans la bonne sueur, Guillaume Martin peut se targuer à 29 ans, non seulement d’un esprit sain dans un corps sain, mais d’un palmarès à faire des envieux. 8e du Tour de Catalogne en 2019, 3e du Critérium du Dauphiné en 2020 (devant un certain… Tadej Pogačar), 6e de Paris-Nice, 8e du Tour de France (premier Français), 9e du Tour d’Espagne en 2021… Vainqueur du Circuit de la Sarthe en 2018 et du Tour de l’Ain en 2022, il est connu outre-Pyrénées (et au-delà) pour avoir remporté le maillot blanc à pois bleus de meilleur grimpeur sur les routes de la Vuelta en 2020.
« Juste dire que je suis l’intello du peloton, ça m’embête. »
Guillaume Martin - Photo: Ekoi Racing
En constante progression depuis ses débuts, Guillaume Martin fait partie, avec Cédrine Kerbaol, sa comparse chez Cofidis, du club très restreint des sportifs de haut niveau ayant réussi à concilier études universitaires et exigences de la compétition. Cela lui confère-t-il un statut particulier ? Sans chercher à se faire le porte-étendard d’aucune cause, Martin passe pour un sportif engagé, n’hésitant pas à prendre position, contre le dopage ou pour l’écologie. Tout comme le Mouvement pour un cyclisme crédible, association dont son équipe et lui-même sont membres, il est favorable à l’interdiction des cétones, substances utilisées comme compléments alimentaires par certaines équipes. Il est le premier à fustiger le « deux poids-deux mesures » dont continue, à ses yeux, de souffrir son sport, du fait des clichés qui lui sont attachés – et qu’il s’efforce de combattre.
« Le cycliste dans son effort est un animal. »
Après avoir tenu une chronique estivale dans le journal Le Monde et écrit une pièce de théâtre, Platon Vs. Platoche (2019), Guillaume Martin a publié deux ouvrages aux éditions Grasset, Socrate à vélo (2020) et La société du peloton (2021). Dans le premier, il imagine Nietzsche, Pascal, Socrate, Sartre, Platon, Aristote et quelques autres « vélosophes », comme il aime à les appeler, se disputer la victoire du Tour de France ; dans le second, il nous propose de penser la société comme un peloton de cyclistes – avec ses leaders et ses équipiers (ses cadres et ses exécutants), ses jeux de pouvoir et ses services échangés.
Guillaume Martin, 2020. Socrate à vélo, Grasset
Qu’il le veuille ou non, Guillaume Martin s’inscrit dans une assez longue tradition de cyclistes littéraires – ou de penseurs à bicyclette ? Qui a oublié Laurent Fignon, double vainqueur du Tour, surnommé « l’Intello » en raison (entre autres) de sa longue chevelure et de ses petites lunettes cerclées ? Antoine Blondin, le romancier-journaliste qui hissa la chronique cycliste au rang de bijou littéraire ? Plus proches de nous, Éric Fottorino et son Petit éloge de la bicyclette ? Olivier Haralambon et Le coureur et son ombre ? Ou encore, dernièrement, les écrivains Aurélien Bellanger et Jean-Acier Danès ?
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Pour aller plus loin
Guillaume Martin, cycliste philosophe. Les Chemins de la philosophie, émission du 3 janvier 2020.
Et si le cyclisme nous apprenait à vivre en société ? La Grande Table idées, émission du 25 novembre 2021.
Que peut le corps ? Avec le philosophe et cycliste Guillaume Martin. Sous le soleil de Platon, émission du 25 juillet 2022.
Guillaume Martin, champion cycliste : « Notre activité est une forme de luxe. » Reporterre, article du 17 novembre 2022.